Il était temps de clarifier la question de la participation aux élections professionnelles des salariés membres de l’encadrement assimilés à l’employeur...
Le dévouement de ces salariés n’est pas sans conséquences sur les élections au CSE : il peut aboutir à la création d’un collège spécifique aux cadres et/ou déterminer le nombre de sièges offert à cette catégorie de salariés.
En effet, dans les entreprises lorsque le nombre de salariés cadres ou assimilés est au moins égal à vingt-cinq au moment de la constitution ou du renouvellement du CSE, ces catégories constituent un 3ème collège. Il est tentant, pour aboutir à l’effectif de 25 cadres, d’inclure dans la liste des électeurs les cadres représentant la direction de direction.
Par ailleurs, le nombre de cadres au sein du 3 ème collège est déterminant pour la répartition du nombre de sièges. En principe, celle-ci s’effectue selon l’importance des effectifs des différentes catégories, même si d’autres critères peuvent être pris en compte, comme l’importance technique, sociale et économique de chaque catégorie.
L’enjeu n’est pas mince pour certaines organisations syndicales présentent chez les cadres au détriment de celles peu représentatives de cette catégorie de salariés.
La cour de cassation a progressivement fixé les règles propres à la participation de ces salariés aux élections professionnelles. Par une interprétation de l’article L.2314-8 du code du travail (relatif aux conditions pour être électeur) et L.2314-19 (régissant les conditions d’éligibilité), la chambre sociale a estimé que ne peuvent ni exercer un mandat de représentation du personnel ni être électeurs les salariés qui :
• Soit disposent d'une délégation écrite particulière d'autorité leur permettant d'être assimilés au chef d'entreprise,
• Soit représentent effectivement l'employeur devant les institutions représentatives du personnel.
La délégation d’autorité
La détermination de l’assimilation du salarié au chef d’entreprise se réalise par l’examen de la délégation de pouvoir dont dispose le salarié.
Ainsi, elle a considéré qu’une directrice maison de retraite bénéficiant d'une large délégation d'autorité et ayant notamment négocié avec les syndicats représentatifs et paraphé le protocole d'accord préélectoral signé en vue de l'élection des délégués du personnel à laquelle elle se portait candidate, devait être assimilée à l’employeur (Cass.soc ; 30 janvier 2008, n°07-60093).
La délégation de pouvoir doit effectivement conférer au salarié les prérogatives de l’employeur. Tel n’est pas le cas pour une directrice d’un centre médico-éducatif qui a été élue suppléante au CSE dans le collège cadre.
Pour la chambre sociale si la salariée bénéficiait d'une délégation de pouvoirs, elle devait toujours agir sous l'autorité de la direction générale et ne pouvait, par exemple, signer les contrats à durée indéterminée ou exercer le pouvoir disciplinaire (cass.soc ; 15 mai 2019, n° 18.19-862).
La délégation de pouvoir est également retenue même si le directeur du magasin ne disposait pas d'une pleine liberté dans l'embauche, la discipline et le licenciement des salariés de son magasin à raison de son appartenance au groupe et qu'il devait faire valider ses choix avant décision grave, licenciement notamment.
Le fait que la lettre de convocation et de sanction est établie au nom du directeur du magasin est à même de relever qu’il représentait l'employeur vis-à-vis des salariés à ces occasions et en exerçait alors tous les attributs -embauche, discipline, licenciement- (cass.soc ; 31 mars 2021 n° 19-25.233).
En l’absence de délégation de pouvoir, l’assimilation au chef d’entreprise peut trouver sa source dans la représentation, par le salarié de son employeur, devant les instances représentatives du personnel.
La représentation de l’employeur devant les instances représentatives du personnel.
L’assimilation au chef d’entreprise peut également ressortir des fonctions dévolues au salarié devant les représentants du personnel.
La chambre sociale retient une conception large de la notion de représentant du personnel comprenant aussi bien la direction du CSE, la négociation avec les syndicats et récemment la représentation de l’employeur devant le représentant de proximité.
Ainsi, est bien assimilé au chef d’entreprise, le directeur d’établissement présidant notamment les réunions de délégués du personnel de l'établissement (Cass.soc ; 12 juillet 2006, n° 05-60300).
De même, le salarié qui avait représenté son employeur dans les négociations avec les organisations syndicales ne peut-être ni électeur, ni éligible, étant assimilé au chef d’entreprise (Cass.soc ; 28 septembre 2017, n° 16.15-807).
Dans son arrêt du 31 mars 2021(précité), la chambre sociale a élargi le cercle des représentants du personnel en assimilant au chef d’entreprise les salariés qui étaient les interlocuteurs des représentant de proximité.
La cour de cassation n’a pas fait sienne les arguments de l’employeur pour contester l’exclusion des listes pour les élections au CSE les interlocuteurs des représentants de proximité.Pour l’employeur ces représentants ne pouvaient être assimilés à des institutions représentatives du personnel au motif que leur existence et leurs attributions dépendent d’un accord collectif, qu’ils étaient désignés par le CSE et qu’ils ne disposaient pas de prérogatives propres.
La solution adoptée par la chambre sociale aura des conséquences pratiques importantes dans la mesure où de nombreux accords qui ont prévu l’existence d’un représentant de proximité, souvent dans des unités de faible effectif, ont déterminé comme interlocuteur des salariés ne disposant pas de délégation de pouvoir.
- Cadre de direction et délégué syndical : L’assimilation à l’employeur des salariés qui détiennent une délégation de pouvoir et/ou qui ont une fonction devant les représentants du personnel ne leur permet pas d’être désigné comme délégué syndical. Cette solution, arrêtée dans son arrêt du 12 juillet 2006 (précité), est renforcée par les nouvelles dispositions qui posent comme condition, pour être désigné DS, d’avoir été candidat aux élections au CSE.
La clarté des règles posées par la cour n’a pas empêché le contentieux de proliférer comme en atteste le contentieux qui a amené la cour de cassation à saisir le Conseil constitutionnel d’une QPC.
A l’occasion des élections au CSE dans le groupe Carrefour, au sein de plusieurs régions, la direction a inscrit au titre d’électeurs, dans les collèges cadre, l’ensemble des directeurs de magasins. La CGT a fait feu de tout bois en demandant au tribunal d’instance (devenu tribunal judiciaire) dans chaque région, le retrait de ces listes. Opportunément, le syndicat CFE-CGC est intervenu dans la procédure.
Dans son arrêt du 31 mars 2021 (précité) la chambre sociale, confirmant la position du tribunal d’instance de Saint-Omer, a tranché en faveur de l’exclusion des directeurs des magasins des listes électorales. Ces derniers, détenteurs d’une délégation de pouvoirs en matière d’embauche, de discipline, de licenciement et représentant effectivement l’employeur devant les représentants de proximité, devaient être assimilés à ce dernier.
A son tour, le tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse, était saisi de la même demande par la CGT. A l’occasion de ce contentieux qui s’est déroulé après l’arrêt de la chambre sociale du 31 mars 2021, la CFE-CGC a sollicité aux termes d'un mémoire écrit, motivé et distinct de ses conclusions au fond, la transmission à la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité.
Par jugement du 17 juin 2021, le tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse a transmis une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :
« La disposition de l'article L. 2314-18 du code du travail telle qu'interprétée par la jurisprudence de la Cour de cassation, en privant certains travailleurs de la qualité d'électeur aux élections professionnelles, et en n'encadrant pas mieux les conditions de cette exclusion et en ne les distinguant pas des conditions pour n'être pas éligibles, ne méconnaît-elle pas le principe de participation des travailleurs par l'intermédiaire de leurs délégués à la détermination des conditions de travail à la gestion des entreprises défini au point 8 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 »
Soucieuse de clarification et dans une volonté de cadrer une bonne fois pour toute sa jurisprudence en la matière, la chambre sociale a décidé de renvoyer la question au constitutionnel par un arrêt en date du 15 septembre 2021, n°21-40.013.
La solution adoptée par le Conseil constitutionnel dans sa QPC du 19 novembre 2021.
Le syndicat requérant reproche à aux dispositions de l’article L.2314-18 de méconnaître le principe de participation des travailleurs dès lors que, telles qu'interprétées par la Cour de cassation, elles privent les salariés susceptibles d'être assimilés à l'employeur de la qualité d'électeur aux élections professionnelles, et donc de toute représentation au comité social et économique.
Selon cette confédération, le droit de vote est intrinsèquement lié au principe de participation, les élections ont pour objet de mettre en œuvre ce principe. Dès lors, l’exclusion de certains salariés de l’encadrement de la liste des électeurs, est une atteinte manifestement excessive au principe de participation.
La solution adoptée par le conseil constitutionnel s’inscrit dans l’analyse défendue par la CFE-CGC. Pour le conseil constitutionnel « en privant des salariés de toute possibilité de participer en qualité d'électeur à l'élection du comité social et économique, au seul motif qu'ils disposent d'une telle délégation ou d'un tel pouvoir de représentation, ces dispositions portent une atteinte manifestement disproportionnée au principe de participation des travailleurs. ».
L’atteinte manifestement disproportionnée au principe de participation ne pouvait que conduire le conseil constitutionnel à déclarer l’inconstitutionnalité de l’article L.2314-18.
Usant des pouvoirs qu’il détient de l’articler 62 de la constitution, le conseil constitutionnel n’a pas prononcé l’abrogation immédiate de l’article L.2314-18 et a reporté dans le temps l’inconstitutionnalité des du texte.
Bien que non conformes à la constitution, les dispositions de l’article L.2314-18, telles qu’interprétées par la cour de cassation, continueront à s’appliquer jusqu’au 31 octobre 2022. Pour le conseil constitutionnel, une abrogation immédiate aurait entrainée des conséquences excessives.
Au législateur d’intervenir au plus tard le 31 octobre 2022.